jeudi 19 avril 2012
Ceux qui m'ont vue
J'étais restée en dehors de la rue. J'étais essentiellement chez moi. Mon enfant était né, il était nouveau né, c'était en plein hiver, qui fut doux, puis glacial. Quelques sorties émaillaient notre quotidien. L'ensemble charnel que je formais avec lui ne se détachait pour ainsi dire à aucun moment. Après le tumulte de la naissance, il y avait les premiers pas dans l'apprentissage à vivre ensemble et à s'assurer que la chaleur, la nourriture et la sécurité lui parvenaient en premier lieu. J'étais coupée du monde.
Quand les grands froids se sont abattus sur Paris, j'ai paradoxalement commencé à sortir sans lui, pour quelques minutes ou une petite heure, parfois, sous le soleil blanc brillant de l'hiver, Paris semblait cristallisé de froid. Ainsi me reprit l'envie folle de photographier mes semblables, passants furtifs dans les rues. Je les trouvais étonnants, emmitouflés qu'ils étaient dans leurs couleurs, leurs écharpes et bonnets. Au fond, j'étais la première ébahie de revoir la vie qui va dehors et alentour de l'immeuble. Je redécouvrais avec bonheur et une sorte d'effroi le rythme, l'allant, l'allure de la ville et son peuple. Je les regardais, je me plantais là à mon carrefour. Et puis je crois qu'ils m'ont vue. Ca me faisait bizarre d'être vue, après avoir été invisible, absente.
Merci à ceux qui m'ont vue furtivement les photographier. Je ne me cachais pas, tout au plus essayais-je d'être discrète pour ne pas les troubler. Je retrouvais ce regard teinté de méfiance ou d'étonnement. Finalement, j'ai choisi de garder les images où le fait d'être vue apparaît sur la photo (parfois, la photo est plus rapide et le regard que je croisais était postérieur à la prise de vue).
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